Le développement d’outils et d’applications basées sur l’intelligence artificielle pour le domaine de la santé connaît un essor important depuis quelques années. La digitalisation de la santé semble bel et bien en marche, mais va-t-elle assez vite dans le domaine du diagnostic ? La pathologie digitale, segment spécifique du numérique en santé, semble tarder à se développer en France.
La digitalisation de la santé, un avenir incontournable ?
La santé de demain sera certainement de plus en plus digitale, marquée notamment par l’avènement de l’intelligence artificielle (IA). Lors d’une enquête menée en 2019 auprès de 35 experts européens de la santé et 1 200 Européens interrogés au Royaume-Uni, en France, en Espagne, en Norvège, en Allemagne et en Belgique, près de 8 européens sur 10 considèrent que le développement de nouveaux outils digitaux pourrait améliorer le système de santé de leur pays. Pourtant, le paysage européen en la matière traduit un certain retard et de fortes disparités entre les pays.
Si la Belgique a connu un grand bond numérique en 2018 et l’Allemagne une transformation digitale tardive, la France se démarque par une digitalisation freinée par le poids des mentalités et les contraintes des instances de régulation. Autre constat marquant de l’enquête, les géants internationaux du net ont pris une large avance sur les outils digitaux par rapport aux acteurs publics de santé, laissant planer le risque d’un problème de financiarisation de ces outils.
La pathologie digitale pour améliorer le diagnostic et la prise en charge
La révolution digitale de la santé passe sans aucun doute par l’essor de l’intelligence artificielle et des solutions numériques – notamment pour gérer et analyser un nombre important de données de santé – dans le diagnostic des pathologies. Cette profonde transformation du diagnostic médical pourrait :
- Réduire le délai de prise en charge du patient ;
- Renforcer la précision du diagnostic ;
- Permettre une meilleure sélection du traitement le plus adapté pour chaque patient.
Des attendus qui pourraient considérablement améliorer le pronostic de nombreuses pathologies, en particulier les pathologies chroniques et/ou rares. En pratique clinique, les médecins attendent avec impatience cette digitalisation du diagnostic. D’après une étude menée par l’IFOP pour Sanofi au début de l’année 2024, 92 % des médecins sur les 600 interrogés dans l’étude jugeaient difficile de diagnostiquer une maladie rare et 81 % d’entre eux voyaient dans l’intelligence artificielle un outil d’aide à l’amélioration du diagnostic des maladies rares.
La pathologie digitale serait une alliée incontournable pour les médecins, et l’IA n’a pas vocation à remplacer les médecins dans l’analyse et l’interprétation des données. Toute la filière du soin et les patients seraient avantagés par cette révolution digitale du diagnostic. De plus, la pathologie digitale permettrait des liens plus étroits avec la recherche clinique, par exemple pour mettre en évidence de nouveaux biomarqueurs diagnostiques. La Société Française de Pathologie (SFP) a d’ailleurs créé fin 2022 un groupe de travail dédié “pathologie numérique, intelligence artificielle et recherche”, avec le projet de créer une journée thématique “le pathologiste et l’intelligence artificielle”.
La France toujours dans l’attente d’une feuille de route nationale…
Malgré les promesses offertes par la digitalisation du diagnostic, cette révolution numérique semble accuser un certain retard en France. En 2023, le ministre de la santé de l’époque, François Braun, a lancé une mission sur la pathologie digitale, avec l’objectif de faciliter la numérisation des laboratoires d’anatomie et de cytologie pathologiques. La numérisation de l’anatomo-cytopathologie, initiée à travers le monde, constitue un enjeu majeur à la fois pour le diagnostic, la prise de décision thérapeutique et la prise en charge des patients, notamment dans le domaine de l’oncologie. Cette mission devait aboutir sur une feuille de route nationale partagée et pluriannuelle de la pathologie digitale. Une feuille de route qui n’a pas encore vu le jour aujourd’hui.
Interrogés par Les Echos fin août 2024, deux spécialistes du sujet, Frédéric Collet – président de la filière IA et cancers – et Jean-François Pomerol – PDG de Tribun Health et président de la task force France Biotech sur la pathologie digitale – ont indiqué que seulement 16 % de la filière diagnostic en France était numérisée à ce jour. Or, à l’instar d’autres spécialités médicales, le nombre d’anatomocytopathologistes est aujourd’hui insuffisant pour répondre aux besoins. On en dénombre seulement 1 650 sur l’ensemble du territoire, contraints chacun de traiter et d’analyser plusieurs milliers d’échantillons par an.
France Biotech a proposé en juillet 2024 une liste de 32 actions pour favoriser l’excellence de la filière d’anatomopathologie française, entre autres grâce à l’essor de la pathologie digitale. La feuille de route nationale sur la pathologie digitale constitue une priorité de santé pour le diagnostic et la prise en charge des pathologies chroniques. Il est déterminant que la France accélère ses actions et ses investissements en la matière pour ne pas dépendre à terme d’autres pays, voire d’acteurs privés comme les géants du net.
Sources
- Intelligence artificielle : va-t-elle remplacer le diagnostic médical ? INSERM. 13 juillet 2023. https://www.inserm.fr/actualite/intelligence-artificielle-va-t-elle-remplacer-le-diagnostic-medical/
- Enquête européenne sur la digitalisation du parcours de santé. IPSOS. Juin 2019. https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2019-06/ipsos_sopra_steria_digitalisation_des_parcours_de_soin.pdf
- Opinion | Santé : digitaliser les diagnostics, la révolution qui tarde. Les Echos. 30 août 2024. https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-sante-digitaliser-les-diagnostics-la-revolution-qui-tarde-2116058