Depuis le 1er septembre 2021, obligation est faite aux laboratoires pharmaceutiques de constituer un stock de sécurité minimal de deux mois. Cela concerne tous les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) destinés aux patients français. Malgré la mise en application du décret, des tensions d’approvisionnement commencent à se faire sentir. Comment expliquer cette situation ? Quelles sont les raisons d’une telle tension ? Une pénurie est-elle à prévoir ? Décryptage.
Retour sur l’obligation de stock
Dans sa feuille de route ministérielle 2019-2022, le ministère de la Santé prenait des engagements pour « Lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France ». L’objectif du ministère était alors de renforcer les dispositifs juridiques existants à propos de la disponibilité des médicaments pour prévenir les pénuries de médicaments de façon plus efficace. Le Covid-19 et la crise sanitaire qui en a découlé n’ont fait qu’accélérer les décisions prises en matière de lutte contre les pénuries de traitements médicamenteux. La pandémie a, en effet, mis en évidence le caractère fragile de la chaîne d’approvisionnement des médicaments. Cela a été particulièrement vrai pour ceux de réanimation.
Le 30 mars 2021, le décret 2021-349 « relatif au stock de sécurité destiné au marché national » était ainsi signé. Ce texte prévoit que les industriels de santé s’organisent pour détenir en permanence un stock de sécurité minimal équivalent à deux mois pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, tels que les anticancéreux, les antibiotiques, les antiparkinsoniens… Sur décision de l’ANSM, le niveau de stock attendu peut être relevé à 4 mois si des risques de ruptures ou des ruptures de stock réguliers sont constatés au cours des deux années civiles précédentes.
Les autres médicaments sont également concernés, mais de façon moindre. L’obligation de stock dépend alors du caractère prioritaire de chaque médicament en termes de santé publique. Le ministre des Solidarités et de la Santé peut ainsi, selon les cas, décider d’une obligation fixée à 1 mois.
Des taux de tension qui s’affolent et des chiffres à relativiser
Alors qu’à travers ce décret, le Gouvernement avait pour objectif de garantir la continuité de traitement des patients, des tensions font leur apparition autour de l’approvisionnement de certains médicaments. Ainsi voit-on, ces derniers mois, les taux de tension grimper en flèche. Le taux de tension d’approvisionnement en pharmacie (hors achats hospitaliers) a par exemple presque doublé depuis janvier 20222, passant de 6,5% du nombre de références de médicaments (remboursables ou non) à 12,5% mi-août.
Si le niveau actuel des tensions est bien supérieur à la moyenne de longue période, qui avoisine les 8%, il est nécessaire de tempérer ces résultats. En effet, une tension d’approvisionnement ne signifie pas toujours pénurie. Certaines références en tension se retrouvent d’ailleurs parfois disponibles sous un autre conditionnement, ou sous une forme générique. Comme l’indique le GERS (groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques), un groupement d’intérêt économique créé par les entreprises de l’Industrie Pharmaceutique : « Une même molécule peut avoir des dizaines de références différentes et actuellement, les ruptures d’approvisionnement n’affectent aucun médicament pour plus de la moitié de ses références ». Là où les problèmes de tensions doivent inquiéter, c’est pour les médicaments référence qui ont peu d’alternatives, comme pour les anticancéreux, les antidiabétiques, etc.
Les raisons des tensions
Les origines de ces tensions sont multiples. Le lien avec une chaîne de production mondialisée revient quant à lui souvent. Prenons l’exemple, des traitements du diabète de type 2 Trulicity® (dulaglutide) et Ozempic® (sémaglutide). Ces derniers ont été déclarés le 30 septembre dernier sous « fortes tensions d’approvisionnement » par l’ANSM. Une augmentation importante de la demande mondiale serait en causes. Une utilisation aux États-Unis des principes actifs de ces médicaments pour la perte de poids aurait, entre autres, fait grimper leurs ventes de façon importante. Actuellement jamais très loin, la guerre en Ukraine cause le ralentissement de la production de boîtes en carton, de flacons en verre et d’opercules en aluminium. La flambée des coûts de l’énergie, de même que l’augmentation de 50 à 160 % du coûts des matières premières ont aussi contraint certains industriels pharmaceutiques à ralentir leur activité, entraînant mécaniquement des baisses de production.
Ces tensions semblent montrer les limites du décret sur l’obligation de stock de médicaments et la dépendance de la France vis-à-vis du marché mondial des médicaments. En effet, rien dans la loi n’imposant que les stocks de médicaments soient disponibles en France, les difficultés d’acheminement des médicaments, les problèmes de production dans les pays tiers (…) peuvent facilement mettre à mal le système français d’approvisionnement.