À l’échelle de l’histoire de l’humanité, les antibiotiques sont une invention très récente, puisque le premier antibiotique, la pénicilline G, a été découvert en 1928. Pourtant, cette découverte a véritablement révolutionné la prise en charge des infections. Il était alors possible de lutter efficacement contre des infections jusque-là mortelles. Mais l’essor de l’antibiorésistance laisse aujourd’hui craindre un basculement de la situation.
La résistance aux antibiotiques, un mécanisme naturel des bactéries…
L’antibiorésistance, ou résistance aux antibiotiques, n’est pas un phénomène nouveau. Naturellement, les bactéries sont capables de résister à certains antibiotiques. Ce phénomène, la résistance naturelle des bactéries, explique le spectre d’action des antibiotiques. Un antibiotique donné n’est efficace que sur un certain nombre de bactéries, tandis qu’il n’a aucune action sur d’autres.
Par ailleurs, les bactéries sont aussi capables de développer de nouveaux mécanismes de résistance, c’est la résistance acquise aux antibiotiques. Elles s’adaptent ainsi à leur environnement et trouvent des stratégies pour survivre face à la pression et à la sélection des antibiotiques. Ainsi, une bactérie résistante aux antibiotiques devient avantagée par rapport aux autres en termes de sélection naturelle.
Si les bactéries, notamment les bactéries présentes dans les flores commensales de l’organisme, sont régulièrement exposées à des antibiotiques, elles développent de nouveaux mécanismes de résistance pour survivre, se développer et se transmettre à d’autres individus.
… devenu en quelques décennies un véritable enjeu pour la santé publique de demain !
L’arrivée des antibiotiques en thérapeutique a permis de traiter des infections bactériennes, parfois mortelles. Ces médicaments ont profondément modifié l’épidémiologie des infections au cours du XXème siècle. Associés à la vaccination, ils ont permis de réduire considérablement le fardeau des infections bactériennes à travers le monde.
Mais la situation semble aujourd’hui s’inverser. En effet, l’usage extensif des antibiotiques à partir des années 1950 a provoqué l’émergence de bactéries résistantes à un nombre croissant d’antibiotiques. Certaines bactéries sont désormais résistantes à l’ensemble des antibiotiques actuellement disponibles sur le marché. Les médecins se retrouvent alors sans solution thérapeutique efficace malgré l’existence des antibiotiques.
L’antibiorésistance, concept parfois encore mal cerné par le grand public, est responsable de décès dans le monde, en Europe et en France. D’après les chiffres de l’INSERM, chaque année 800 000 Européens seraient infectés par des bactéries résistantes aux antibiotiques et 36 500 en seraient décédés en 2020, faute d’un antibiotique efficace. En France, environ 130 000 personnes seraient infectées par des bactéries résistantes chaque année, le plus souvent en milieu hospitalier, et environ 5 500 décès seraient liés à l’antibiorésistance.
Au fil des années, les chiffres s’aggravent et les estimations sont loin d’être optimistes. Au cours des 25 prochaines années, plus de 39 millions de personnes dans le monde pourraient mourir d’une infection par une bactérie résistante aux antibiotiques, selon une récente étude publiée dans The Lancet. Entre 1990 et 2021, l’antibiorésistance aurait provoqué le décès de plus d’un million de personnes par an. À titre de comparaison, ces chiffres placent l’antibiorésistance devant le paludisme (608 000 morts en 2022) et légèrement derrière la tuberculose (1,3 millions de morts en 2022).
Le concept One Health, au-delà du bon usage des antibiotiques chez l’humain
Longtemps, la problématique de l’antibiorésistance s’est concentrée sur les antibiotiques utilisés en santé humaine. En France, ont été lancées les campagnes de communication “les antibiotiques, c’est pas automatique”. Et pour cause, il a été clairement démontré un mauvais usage des antibiotiques en santé humaine :
- des antibiotiques prescrits sans infection bactérienne documentée (parfois simplement dans le cadre d’une infection virale) ;
- des antibiotiques à spectre large utilisés pour le traitement d’infections bénignes ;
- des antibiotiques prescrits sur des durées trop longues, avec une posologie inadaptée (trop élevée ou insuffisante).
L’objectif des autorités de santé publique et des sociétés savantes a donc été de restreindre l’usage des antibiotiques. La France n’est d’ailleurs pas une très bonne élève en la matière, puisqu’elle reste en 2021 le cinquième pays européen le plus consommateur d’antibiotiques. Or aujourd’hui, il faut limiter l’usage des antibiotiques aux seules infections bactériennes documentées et adapter l’antibiotique et sa posologie à l’infection traitée (l’antibiotique avec le spectre le plus étroit possible, à la posologie efficace et sur la durée la plus courte possible).
Mais cela ne suffit pas. En effet, deux autres composantes sont essentielles à prendre en compte : la santé animale et la santé environnementale. C’est la base du concept One Health pour une seule santé. En effet, les antibiotiques ne sont pas uniquement administrés aux hommes. Ils sont également très largement administrés aux animaux, et notamment aux animaux d’élevage. En santé animale, 96 % des antibiotiques sont consommés par des animaux destinés à la consommation humaine. Et là aussi, des situations de mésusage ont été décrites. Jusqu’en 2006, des antibiotiques étaient notamment utilisés comme facteurs de croissance dans certains élevages. De même, l’usage extensif des antibiotiques a contaminé l’environnement. Des antibiotiques se retrouvent dans les eaux souterraines et donc dans les sols. L’omniprésence des antibiotiques contribue à l’émergence des bactéries résistantes et multirésistantes qui infectent in fine l’homme.
Quelles solutions face à l’antibiorésistance ?
L’antibiorésistance est un phénomène évolutif, et n’est donc pas une fatalité. Mais il est primordial de mener des actions pour lutter contre l’antibiorésistance :
- mieux utiliser les antibiotiques aussi bien en santé humaine qu’en santé animale ;
- les réserver au traitement d’infections bactériennes diagnostiquées ;
- s’assurer que les antibiotiques utilisés ne contaminent pas l’environnement.
La disponibilité des antibiotiques constitue également un enjeu, à la fois dans les pays émergents, mais aussi en France, où les tensions d’approvisionnement amènent parfois les prescripteurs à se tourner vers des antibiotiques de 2ème voire de 3ème intention.
Par ailleurs, d’autres moyens de lutte contre les infections bactériennes doivent être soutenus et développés :
- La vaccination – quand elle existe – ;
- Les autres mesures de prévention – l’hygiène et les gestes barrière – ;
- La recherche pour découvrir de nouveaux antibiotiques ou d’autres solutions thérapeutiques contre les infections bactériennes.
La prise de conscience des autorités de santé publique à travers le monde et les premières actions mises en place semblent porter leurs fruits. Sur les trois dernières décennies, le nombre de décès d’enfants en lien avec l’antibiorésistance a chuté de moitié dans le monde. Il est primordial que les efforts se poursuivent et s’intensifient pour préserver l’efficacité des précieux antibiotiques qui nous permettront demain de continuer à réduire le fardeau des infections bactériennes.
Sources
- Résistance aux antibiotiques, un phénomène massif et préoccupant. INSERM. Modifié le 18 juillet 2024. https://www.inserm.fr/dossier/resistance-antibiotiques/
- Résistance aux antibiotiques. Santé Publique France. Mis à jour le 5 décembre 2023. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-associees-aux-soins-et-resistance-aux-antibiotiques/resistance-aux-antibiotiques
One Health, une seule santé. INRAE. Consulté le 1er octobre 2024. https://www.inrae.fr/alimentation-sante-globale/one-health-seule-sante