Modifier le génome pour corriger une mutation génétique et ainsi guérir une maladie génétique, ou pour stimuler l’expression d’un gène du système immunitaire et ainsi permettre à l’organisme de mieux lutter contre le cancer. Telles sont les promesses des techniques d’édition génétique. La première d’entre elles, la technique CRISPR-Cas9, a lancé la voie des premières thérapies géniques, tout en dévoilant ses limites. Et une toute nouvelle technique, le pont ARN, pourrait prendre la relève très prochainement.
Des premiers ciseaux génétiques au pont ARN
Mise au point en 2012, la technique des ciseaux génétiques CRISPR, pour Clustered regular interspaced short palindromic repeats, a révolutionné le monde de la génomique, en ouvrant la porte vers les premières thérapies géniques. La technique CRISPR-Cas9 permet de modifier les génomes de manière rapide et précise. Les ciseaux génétiques “ouvrent” l’ADN en un point précis, y ajoutent une nouvelle séquence d’ADN d’intérêt thérapeutique, puis “renferment” l’ADN. Cette découverte majeure a été saluée par la communauté scientifique internationale. La chercheuse française Emmanuelle Charpentier et la chercheuse américaine Jennifer Doudna ont obtenu le Prix Nobel de Chimie en 2020 pour leurs travaux sur la technique CRISPR.
La technique CRISPR-Cas9 permet d’envisager la mise au point de thérapies géniques pour le traitement de certains cancers – en particulier les tumeurs réfractaires aux autres lignes de traitement -, et de maladies génétiques, comme la mucoviscidose ou la drépanocytose. Des essais cliniques sont d’ailleurs en cours dans le monde, avec des thérapies basées sur les ciseaux génétiques. En 2023, le New Scientist recensait pas moins de 75 essais cliniques en cours sur la technique CRISPR, dont la moitié concerne la prise en charge d’un cancer.
La première thérapie CRISPR-Cas a été autorisée par les autorités sanitaires américaines et britanniques à la fin de l’année 2023 pour le traitement de certaines hémoglobinopathies. En France, ce traitement bénéficie d’un dispositif dérogatoire d’autorisation d’accès précoce depuis le mois de janvier 2024.
Alors que la thérapie CRISPR-Cas9 fait son entrée dans les innovations thérapeutiques 12 ans après sa mise au point, une nouvelle technique fait son apparition, le “bridge editing” ou pont ARN.
Un pont ARN programmable pour modifier l’ADN
Des chercheurs américains, de l’ARC Institute en Californie, ont en effet découvert un nouvel outil moléculaire, basé sur l’ARN. Ce pont ARN permet de réaliser sur l’ADN différentes modifications, de manière programmable :
- des insertions de nouvelles séquences ;
- des excisions de séquences défectueuses ;
- des inversions de séquences.
Les travaux de ces chercheurs, Patrick Hsu et Hiroshi Nishimasu, ont été récemment publiés dans la célèbre revue scientifique Nature.
Ce pont ARN est un mécanisme totalement nouveau, très différent fondamentalement de la technique CRISPR. En utilisant un ARN non codant, il peut cibler n’importe quelle zone du génome et y insérer n’importe quelle séquence, en fonction des besoins. Il constitue ainsi un outil révolutionnaire en matière de programmation biologique.
A ce stade, les chercheurs n’ont pas encore déterminé si le pont ARN est susceptible de fonctionner dans les cellules humaines pour modifier le génome humain.
Le bridge editing, un adaptateur électrique universel !
Entre la technique CRISPR-Cas9 et ce nouveau pont ARN, quelle technologie est aujourd’hui la plus prometteuse ? Dès 2020, des études ont suggéré que la technique CRISPR-Cas9 pouvait être à l’origine d’erreurs et de réarrangements génétiques complexes, parfois non détectables avec les techniques utilisées en routine. Des erreurs potentiellement graves, puisqu’elles pourraient expliquer les événements indésirables majeurs observés lors de certains essais cliniques.
Ainsi, dans un essai clinique mené en 2018, 2 des 11 enfants de l’étude ont développé une leucémie, un événement indésirable majeur, imputé aux erreurs de la technique CRISPR-Cas9. Le pont ARN serait-il plus fiable ? Jusque-là, les travaux des chercheurs n’ont été menés qu’in vitro sur la bactérie E. coli. Les données obtenues montrent que l’efficacité d’insertion d’un gène souhaité est de plus de 60 %, avec une spécificité de plus de 94 % sur l’emplacement où est inséré ce gène d’intérêt.
La grande promesse du pont ARN est son caractère universel, avec une possibilité d’insérer n’importe quelle séquence ADN à n’importe quel endroit du génome. Les chercheurs le comparent volontiers à un adaptateur électrique universel, compatible avec n’importe quelle prise électrique. Autre avantage majeur du “bridge editing”, il ne libère pas de fragments d’ADN coupés après l’insertion d’une séquence d’ADN au point d’intérêt. Reste maintenant à savoir si les données obtenues chez E. coli sont transposables aux cellules humaines et si la fiabilité de ce nouvel outil se confirme.
Le pont ARN apparaît d’ores et déjà comme une découverte majeure dans le monde de l’édition génétique, mais il devra confirmer ses promesses et peut-être montrer ses faiblesses au fur et à mesure des futures étapes de son développement.
Sources :
- Modifier l’ADN : les applications de la découverte CRISPR. Polytechnique Insights. 27 mars 2024. https://www.polytechnique-insights.com/tribunes/science/modifier-ladn-les-applications-de-la-decouverte-crispr/
- « Bridge editing » : « un adaptateur universel » pour éditer le génome. Gènéthique. 28 juin 2024. https://www.genethique.org/bridge-editing-un-adaptateur-electrique-universel-pour-editer-le-genome/
- CRISPR-Cas9 : des effets « off target » plus nombreux et difficiles à détecter. Gènéthique. 10 mars 2020. https://www.genethique.org/crispr-cas9-des-effets-off-target-plus-nombreux-et-difficiles-a-detecter