Le Journal of Medical Internet Research a publié en juillet dernier les résultats d’une étude française (Assessing a New Prescreening Score for the Simplified Evaluation of the Clinical Quality and Relevance of eHealth Apps: Instrument Validation Study) qui met en évidence le fait que les applications de santé seraient trop peu évaluées par des études scientifiques. Les résultats de cette étude peuvent amener certains questionnements notamment sur la sécurité des utilisateurs de ce type d’outils.
États des lieux des applications de santé
Le secteur des applications de santé est en pleine essor. En 2020, ce ne sont pas moins de 250 nouvelles applications e-santé qui ont été mises en ligne chaque jour. Rapporté sur l’année, cela fait 90 000 applications ! Ces applications accompagnent leurs utilisateurs sur leur smartphone ou tablette dans leur quotidien. Elles vont les aider à faire plus de sport, à manger mieux, à arrêter de fumer… Le Covid-19 a marqué l’explosion de ce type d’outil. Ainsi, en mars 2021, 40,6 millions de Français se sont connectés à une application de santé ou à un site
Une étude pour y voir plus clair
Parmi cette offre pléthorique, comment réussir à s’y retrouver, à faire le tri entre les applis sérieuses et les applis « gadgets » ? C’est dans cette optique que des scientifiques, dont le Pr Fabrice Denis, président de l’Institut national de l’e-Santé, ont cherché à mettre au point un questionnaire qui puisse permettre d’évaluer la pertinence clinique de ces applications. Les 26 items de ce questionnaire ont été définis sur la base des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS), de la Société européenne d’oncologie et des associations de patients.
Ils se sont ensuite servis de LinkedIn pour présenter leur enquête aux éditeurs de solutions e-santé via une campagne qui a eu lieu en janvier 2022. 68 applications ont ainsi répondu à leur appel. Il s’agissait pour la plupart d’applications concernant le suivi de patients atteints d’un cancer ou d’une pathologie cardiaque, ou encore souffrant de douleurs chroniques. Leur objectif est de proposer à leurs utilisateurs une surveillance à distance du respect de leurs traitements et de leurs effets secondaires. Elles délivrent également des messages de prévention. Les applications observées sont donc bien des outils utilisés par des personnes malades et non des applis de bien-être ou de suivi de l’activité physique d’un individu.
Des résultats qui interpellent
Bien que l’étude n’ait été réalisée que sur 68 applications (sur les 90 000 qui sortent annuellement), les résultats obtenus ont de quoi soulever des interrogations. En effet, seulement 21% d’entre elles ont fait l’objet d’études randomisées. Ce type d’études est considéré comme le niveau de preuve maximal pour prouver l’efficacité d’un produit de santé avant sa commercialisation. 15 % d’entre elles avait, quant à elles, fait l’objet d’évaluation sur des données de santé en vie réelle. Mais pour le reste, soit 64 % des applications, aucune étude clinique n’a été menée.
La réglementation en matière de tests
Si cela n’a rien d’illégale, on peut toutefois s’interroger sur le caractère déontologique de cette absence d’étude pour des applications dont l’objectif est d’assurer un suivi des pathologies chroniques des patients. Rien n’interdit, en effet, de diffuser des applications de santé sans fournir de preuve de leur efficacité. Lorsqu’une application de e-santé a une finalité médicale, on parle alors d’elle comme d’un dispositif médical et elle doit détenir le marquage CE. Pour cela, les éditeurs d’applications santé doivent préparer une documentation technique censée prouver la qualité et la sécurité du dispositif. Pour ce qui est des DM de classe I, comme les applications santé, qui ne sont pas censées présenter de risque important, le marquage se fait en auto certification. Le marquage est donc relativement simple à obtenir. Ce type de certification est bien sûr plus poussée quand il s’agit de matériel plus complexe comme un IRM.
Les patients doivent-il craindre pour leur sécurité ?
Même si l’absence d’étude scientifique peut être admise, cela peut quand même poser question quant à la sécurité des utilisateurs. Bien sûr, l’enjeu de sécurité n’est pas le même qu’il s’agisse d’une application défaillante ou d’un pacemaker, mais tout de même. Imaginons que les algorithmes de ces applications non validées fassent une erreur et que l’utilisateur ne reçoive pas l’alerte lui indiquant par exemple de prendre son traitement. Le malade peut alors courir un risque. On peut ainsi parler de complications de maladies, de risque d’infections, de toxicité d’un médicament ou encore d’erreurs d’orientation.
Bien que peut-être pas suffisamment représentative de la réalité au vu du faible nombre d’applications observées, cette étude met en évidence la nécessité d’engager une réflexion à ce sujet. Un dialogue entre entreprises de santé, chercheurs, et scientifiques devrait ainsi être engagé pour amorcer la conception d’un cadre de certification autour des applications de santé.